Quand Mario Draghi ouvre brutalement les yeux sur le suicide économique européen piloté par la BCE<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Mario Draghi quitte la salle après une cérémonie de passation des pouvoirs au Palazzo Chigi, à Rome, le 23 octobre 2022.
Mario Draghi quitte la salle après une cérémonie de passation des pouvoirs au Palazzo Chigi, à Rome, le 23 octobre 2022.
©Vincenzo PINTO / AFP

Politique économique

Mario Draghi admet que la stratégie économique adoptée par l'Union européenne après la crise de la dette souveraine, caractérisée par une diminution des salaires et des mesures d'austérité, a en réalité réduit la demande intérieure. Cette approche a exacerbé la crise et mis en péril le modèle social.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

Voir la bio »

Atlantico : Selon Mario Draghi la politique économique de l'Union européenne, après la crise de la dette souveraine, a exacerbé la crise et ébranlé le modèle social. Qu'en pensez-vous ?

Don Diego De La Vega : À mon avis, ces individus manquent sérieusement de discernement. Prenez Mario Draghi, par exemple. Il n'a pas commencé sa carrière en tant que simple stagiaire à la BCE. Avant de prendre les rênes en 2011, il était le numéro deux de la banque centrale à l'époque de Jean-Claude Pichet. Pourtant, je n'ai guère entendu parler Mario Draghi ni dans les années 2000 ni dans les années 2010, du moins pas sur ce genre de sujets. Je l'ai surtout entendu plaider en faveur d'une rigueur budgétaire accrue.

Sur ce point, il avait raison selon moi. Je soutenais alors qu'une détente monétaire était nécessaire plutôt qu'une stimulation budgétaire. Mais au lieu de cela, il a fermement soutenu une politique monétaire stricte, associée à une politique budgétaire tout aussi rigide pendant des années. Quand il a finalement pris les mesures nécessaires, cela a pris un certain temps. Entre son arrivée à la tête de la BCE et le lancement de ces mesures, il s'est écoulé plus de trois années de croissance négative pour l'Europe et de crise profonde dans les pays périphériques. Pendant tout ce temps, il n'y a pas pas eu de volonté politique, pas de taux d'intérêt négatifs, ni de mesures de relance. Il a fallu attendre longtemps. Lorsque Mario Draghi a finalement mis en œuvre sa politique de détente monétaire, c'était en 2014, début 2015, il y a eu deux ou trois bonnes années de croissance. Durant l'été 2017, à Stuttgart, il a mis fin à la récréation, puis en 2018, il a tenté de resserrer à nouveau sa politique monétaire.

À Lire Aussi

Pour rivaliser avec les États-Unis et la Chine, l’UE doit opérer un « changement radical », selon Mario Draghi

En résumé, la politique de Mario Draghi pendant la majeure partie de cette décennie n'était pas sans défauts. Il manquait également d'une vision globale. Parfois, il a opté pour des mesures d'assouplissement monétaire, mais sans coordination avec la politique budgétaire. Ainsi, l'entendre maintenant plaider en faveur d'une révision de la rigueur passée est plutôt ironique. Son interprétation de la crise de 2008, de 2011 et des années suivantes est discutable. Il soutient que la politique budgétaire était trop stricte, alors qu'en réalité, c'était la politique monétaire qui était complètement déséquilibrée. C'est une tentative de la BCE de se défausser une fois de plus de ses responsabilités.

Le fait est qu'à l'époque, l'euro était surévalué, c’était la responsabilité de la BCE. Les taux d'intérêt sont restés élevés trop longtemps, une autre responsabilité de la BCE. En outre, certains pays ont été contraints, par le FMI ou la BCE, à adopter des politiques budgétaires excessivement rigoureuses, ce qui n'a pas contribué à améliorer la situation globale. Le principal problème résidait surtout dans une politique monétaire réellement nuisible. C'est pourquoi les remarques de Mario Draghi me semblent quelque peu audacieuses. Il n'a toujours pas reconnu que la crise de 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, et au-delà, était la crise de la politique monétaire.

Mario Draghi explique que non seulement la guerre économique est là, mais que nous sommes en train de la perdre. Qu’en pensez-vous ? 

Il existe quelques techniques fiables pour identifier quelqu'un qui n'a pas une vision économique claire, et l'une d'entre elles est de parler de guerre économique. Cette personne adoptera ce que l'on appelle une vision antagoniste, c'est-à-dire qu'elle ne comprendra pas la logique des échanges mutuellement bénéfiques, la logique des avantages comparatifs, ou encore la logique de l'économie de marché. En présence de personnes qui ne sont pas des économistes, ou qui l'étaient il y a longtemps mais qui s'expriment devant un public non averti et qui ont besoin de se livrer à ce genre de démonstration, on entend parler de guerre économique. En réalité, il n'y a pas de guerre économique. Nous avons besoin des produits chinois. Personne n'est plus puissant que les Chinois. Lorsque Mario Draghi déclare que les Chinois sont agressifs et ont une logique de prédateurs, et que les Américains adoptent également une logique de prédateurs et sont protectionnistes, c'est une manière très simpliste de voir les choses. Cela sous-entend que nos échecs ne sont pas dus à nos propres actions, mais aux méchants Chinois et Américains.

En réalité, je suis en train de travailler sur un ordinateur qui doit être taïwanais, coréen, ou japonais. Mon smartphone est probablement d'origine chinoise ou américaine. Dans notre vie quotidienne, nous constatons de plus en plus que rien n'est purement national, voire européen. Même dans les produits les plus simples, il y a la contribution de nombreux pays et de nombreux sous-traitants, formant une chaîne d'approvisionnement complexe.

Adopter une approche mercantiliste et agressive ne nous permet pas de reconnaître que la plupart des échecs industriels européens sont en réalité imputables aux Européens eux-mêmes. La mauvaise stratégie industrielle des Allemands, l'échec total d'EDF et de la politique énergétique française des dernières décennies, notre inflation réglementaire actuelle, ou encore la surévaluation de l'euro due à la BCE, tout cela relève de notre propre responsabilité. Développer un discours anti-chinois ou anti-américain prépare simplement le terrain à une logique mercantiliste voire protectionniste. C'est une voie très dangereuse. Le discours de Draghi dans son rapport préliminaire m'a semblé excessivement agressif.

La plupart des erreurs commises en Europe sont le résultat de décisions européennes. Prenez l'exemple d'Arianespace. Ariane 6 est déjà obsolète avant même d'avoir effectué son premier vol, parce que depuis des années, nous avons refusé d'adopter la réutilisation des lanceurs, contrairement aux Américains qui nous avaient pourtant montré la voie.

Mario Draghi cherche à détourner la responsabilité des élites européennes, en les exonérant de toute faute. La première technique consiste à attribuer les défaillances budgétaires aux politiques monétaires. La deuxième technique consiste à attribuer une partie de nos problèmes aux méchants Chinois et aux méchants Américains. C'est une manière totalement erronée d'aborder le problème. À chaque fois, ces techniques dégagent un message de déresponsabilisation et de diffusion de la culpabilité. En gros, ce que Mario Draghi se dédouane en accusant les facteurs structurels incontrôlables ou encore la démographie.

Pour résoudre ces problèmes il propose une solution : l'intégration continentale. Une avancée vers le fédéralisme. Pensez-vous que c'est la solution au problème ? 

Mario Draghi commence par un constat indéniable : nous avons seulement 4 entreprises technologiques dans le top 50 en Europe. C'est un constat de la réalité. Et puis, comme d'habitude, nous en arrivons toujours à la même solution : plus de fédéralisme politique et plus de fédéralisme dans les projets. L'idée est de tout mettre à l'échelle. Le problème étant que cela ne fait que perpétuer une sorte de logique excessive, où la taille est tout ce qui compte pour les élites européennes. Si nous échouons face aux Américains et aux Chinois, c'est parce que nous ne sommes pas assez unis, pas assez fédéralisés.

Aujourd'hui, les pays qui s'en sortent le mieux en Europe et ailleurs sont souvent des petits pays ou des pays qui privilégient le localisme, avec une approche ascendante qui n'est pas du tout fédérale, voire qui tirent profit du système européen sans s'y conformer pleinement, par exemple l'Irlande, la Suisse ou le Danemark. Ce sont des pays qui réussissent en misant sur le local, plutôt que sur une stratégie fédérale. C'est le cas du Danemark où le localisme permet une évaluation et une concertation efficaces avec la population locale, une révélation des préférences collectives bien plus pertinentes qu'à une échelle plus large. Il en va de même pour la Suisse, dont l'industrie se porte très bien malgré une monnaie forte, grâce à un savoir-faire unique qui ne se trouve ni dans la zone euro ni dans l'Union européenne. Il existe donc des contre-exemples convaincants à l'idée selon laquelle la taille est la clé du succès industriel. Ce sont des exemples concrets, issus de l'expérience pratique, qui contredisent la vision du fédéralisme promue par Draghi et l'Union européenne. Leur pouvoir repose sur cette idée. Ils veulent nous faire croire que l'euro et l'intégration de 20 pays étaient une bonne idée, alors que les meilleures monnaies sont souvent celles de quelques pays seulement. Leur projet industriel est toujours axé sur plus de fédéralisme, alors que le succès industriel réside généralement dans des approches locales, plus petites.

Pour résoudre les problèmes industriels de l'Europe, vous préconisez plus de localisme et peut-être moins de fédéralisme ? 

D'une part, il faudrait une approche de soulagement réglementaire et ne pas profiter excessivement de l'inflation réglementaire. Deuxièmement, il faudrait tenir compte du taux de change. Nous constatons que l'euro est surestimé de façon quasi systématique depuis 2003. Ce genre de rapport, ne pas parler jamais de la cherté de l'euro, c'est quand même fort de café. Mais là encore une fois, il est forcément pour lui de se disculper. En réalité, le seul aspect fédéral que je vois au problème de compétitivité de l'Europe, c'est la valeur de l'euro.

Il y a aussi un grand absent dans cette approche de Mario Draghi, dans ce pré-rapport et ce que dit aussi Francisco Letta : le capital humain. Tout se passe comme s'il y avait des problèmes démographiques. Et d'ailleurs, Mario Draghi propose plus de migrations  car il y aurait des métiers en tension, il y aurait des professions où il manque de gens. Mais si c'est un problème démographique, c'est un problème de l'effectif. Ce n'est jamais un problème de capital humain. C'est-à-dire que dans ce genre de rapport, il n'y a jamais rien de sérieux, rien à l'échelle sur notre échec dans les tests de PISA, la défaillance des universités en France et ailleurs, le fait que le capital humain stagne à de très bas niveaux en Espagne et dans 5 pays.

S'il y a un problème de main-d'œuvre, on va faire en importer. Et s'il y a un problème de main-d'œuvre, on va éduquer, on va faire ceci, on va faire cela. Mais il n'est jamais question véritablement là où véritablement les autorités publiques ont une vraie responsabilité, c'est-à-dire l'éducation, l'enseignement, la qualification. De plus, il y a une responsabilité européenne à travers Erasmus, à travers ce qu'on peut faire au niveau des universités européennes.

Enfin, si on veut vraiment renforcer la souveraineté européenne, il faudrait peut-être s'occuper de la nouvelle économie et pas de l'économie du XXe siècle. Ça, c'est un point quand même que je trouve assez hallucinant dans les propos de Draghi. C'est qu'on a l'impression qu'il aurait pu faire son rapport en 95. On est en 2024. Il semble bien qu'on parle de souverainisme européen. Je trouve un peu dangereux comme terrain. L'autre problème que je vois, c'est qu'il n'y a jamais rien sur l'évaluation. L'évaluation des politiques publiques, la création d'un écosystème de la pensée critique. Il y a déjà des politiques industrielles et des politiques de compétitivité au niveau européen. Il y a des choses à Bruxelles et ailleurs, mais on les évalue pas. Il n'y a pas de vrai travail non plus sur la réglementation.

Pour eux, l'union des marchés capitaux est très très importante. L'idée est qu'il y a certainement bien des choses à faire avant l'union des marchés de capitaux, des choses plus concrètes. En Europe, on a une multitude de dettes. Et essayer de les transformer en equity, en action, comme la Chine. Je pense qu'on en aurait beaucoup besoin en Europe. 

Il ne semble pas qu'en Europe, on manque de fédéralisme. Il ne semble pas qu'on manque, contrairement à ce qu'a dit le président de l'État, de dépenses publiques ciblées vers telle ou telle stratégie. Il me semble qu'en Europe, on a d'abord et avant tout besoin de neurones en fonctionnement qui se proposent de remplacer les exéludes et qui se proposent d'investir plutôt dans le capital humain. La Commission européenne demande un rapport de la compétitivité. Il y a la quintessence même du système et le type qui, en gros, fait partie du top 10 des gens qui nous ont foutu dedans. C'est quand même assez incroyable. Et évidemment, quand on demande à Mario Draghi un rapport de la compétitivité, il fait ça avec son logiciel induit, c'est-à-dire le logiciel de la fausse expertise de la technocratie européenne.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !